Nutriscore : des années de polémiques, mais quelle efficacité ?
L’histoire du Nutriscore commence en 2014. C’est une histoire bien française, alliant polémiques, controverses et bras de fer entre les acteurs.
Après de nombreux rebondissements, une étape a été franchie par Santé publique France en février dernier, suite à l’édition d’un bilan complet de la situation, qui permet dorénavant de tirer des perspectives précises [1].
Remontons le fil du temps et essayons de proposer une synthèse de ces 6 dernières années mouvementées.
Depuis 2014, des Nutruiscore et polémiques : des fake news à la chaîne
Dès les premières publications décrivant l’idée du Nutriscore celui-ci entre dans le collimateur. Les opposants sont de tous bords. Certains industriels, dont les grandes multinationales agroalimentaires (Coca-Cola, Pepsi, Nestlé et Unilever…) mais également des personnalités importantes, comme Yves Lévy, PDG de l’Inserm, qui a démissionné dès 2016 de ses fonctions au sein du Comité de pilotage du Nutriscore, suite à des « réserves critiques » concernant la « rigueur méthodologique de l’étude » [2].
C’est dans ce contexte que Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé, choisit pourtant d’avancer, en 2017, et d’intégrer le Nutriscore à sa loi Santé. Mais le point faible est là, toujours bien effectif à ce jour : le Nutriscore est non obligatoire, officiellement « en raison de la réglementation européenne actuelle ».
Timeline du projet Nutriscore de 2014 à 2017, date d’intégration à la Loi Santé [3].
Un flux ininterrompu de rumeurs et de fake news s’ensuit, propagé par les réseaux sociaux. Il cible le Nutriscore en niant ses impacts positifs sur la santé, voire en le faisant passer pour nocif. Pour tenter de contrer ces attaques, un blog spécifique est édité par les promoteurs du Nutriscore : l’EREN (Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle – Inserm / Inra / Cnam / Université Sorbonne) [4].
Pourtant les impacts sur la santé du Nutriscore sont établis par la science et sont positifs
Différentes études d’ampleur ont concerné l’évaluation du Nutriscore. Parmi celles-ci l’analyse du cabinet Nielsen d’octobre 2019 qui a été la première à prouver l’efficacité du score [5], puis des données encore plus complètes ont été apportées par Santé publique France & Oqali, via un rapport compilant des dizaines d’enquêtes et d’études scientifiques internationales, en février dernier [1]. La multiplication des applications spécialisées, telles que Score it!, permet également un certain retour d’expérience.
Il en ressort les points clés suivant :
- 94% des français sont favorables à la présence du Nutriscore sur l’emballage et 54% déclarent avoir changé au moins une de leurs habitudes d’achat grâce à celui-ci (données 2020, ils étaient 43% en 2019). Voir détail des résultats ci-dessous [1].
- L’analyse de 92 000 produits montre que ceux possédant les meilleures valeurs nutritionnelles (A et B) s’avèrent plus dynamiques : leur chiffre d’affaires est en hausse (respectivement +1.0% et +0.8%) quand celui des produits C et D est en recul de -1,1 % et -0,2 %. Données 2019 [5].
- Différentes études épidémiologiques ont montré que les personnes consommant les aliments les mieux notés avaient un risque plus faible de maladies chroniques et de mortalité liées à la nutrition, voir par exemple [6] [7].
- Le Nutriscore s’est révélé être le système le plus efficace pour améliorer la qualité nutritionnelle lors de l’achat, et ce en population générale, voir par exemple [8] [9]. Ce point a également été validé par un essai randomisé britannique, qui a notamment testé l’efficacité de quatre labels nutritionnels sur un panel de 4 500 consommateurs et conclut que le Nutriscore est celui qui a le plus d’effets [11].
Les points faibles restent nombreux
Les réserves citées de façon récurrente concernent principalement le champ du Nutriscore, qui n’inclut pas les éléments suivants : additifs (colorants, conservateurs, émulsifiants, exhausteurs de goût, édulcorants…), composés néo-formés (acrylamide, nitrosamines…), pesticides (insecticides, raticides, fongicides, et herbicides), antibiotiques, ou encore substances migrant des emballages. Ce choix a été assumé dès le début ; les connaissances et technologies actuelles ne permettent pas leur prise en compte. Par ailleurs, le Nutriscore n’a pas la prétention d’être un système d’information global sur la dimension « santé » des aliments, qui est un paradigme différent.
De plus, le Nutriscore ne prend pas en compte le niveau de transformation de l’aliment ou son mode de production. Les concepteurs se défendent en expliquant que tout ne peut pas être traité simultanément ou via le même indicateur. Certains scores, comme le Novascore, sont spécifiquement conçus pour y répondre.
Enfin, de nombreux acteurs mettent en avant l’absence d’ambition française d’obligation d’affichage sur les emballages. La non prise en charge européenne est également un point faible majeur : elle génère cacophonie et disparité sur le continent (à ce jour, seuls la Belgique, l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse ont décidé d’adopter le NutriScore comme système d’information nutritionnelle complémentaire).
Analyse détaillée des données disponibles
Même si elles émanent de Santé publique France, l’organe en charge du Nutriscore montre que celles-ci sont robustes. Elles sont nombreuses (presque une centaine d’études), s’échelonnent sur plusieurs années et sont issues de travaux internationaux pour presque la moitié. On peut donc parler d’une approche indépendante !
Par ailleurs un groupement réunissant 270 scientifiques et une vingtaine d’associations d’experts ont lancé, en mars dernier un appel à la Commission européenne pour qu’elle adopte « dès que possible » ce système d’étiquetage sur la face avant des emballages d’aliments. Selon eux, le Nutriscore « est le seul logo nutritionnel en Europe à avoir fait l’objet de nombreuses études scientifiques démontrant son efficacité, sa pertinence et son utilité pour les consommateurs et la santé publique » [11].
Le volume considérable des détracteurs du Nutriscore n’entame pas donc notre confiance dans le processus. Le bilan global est clairement positif. Les résultats sont là, les consommateurs suivent la dynamique et en tirent des avantages.
Mais certains chiffres sont têtus : seules 415 entreprises sont engagées dans le Nutriscore à date et, sur une trentaine de secteurs d’aliments observés, seuls 4 montrent une proportion de références portant le logo sur l’emballage qui égale ou dépasse les 10% (voir répartition ci-dessous [10]). Sa représentation reste donc globalement faible…
Alors comment augmenter le taux l’affichage du Nutriscore sur les produits alimentaires ? Faut-il légiférer en France ? Comment le promouvoir en Europe ? Ce sont les problèmes à résoudre lors des prochains mois ou années.
Une chose est sure : tant que l’affichage du Nutriscore est faiblement représenté sur l’emballage, le potentiel des applications pour mobiles permettant de le générer via leur code barre est immense. Nous y travaillons au sein de Natural development : à suivre !
Nutriscore, polémiques – Références
[1] Évaluation à 3 ans du logo nutritionnel Nutri-score, Santé publique France & Oqali, février 2021.
[2] Polémique autour de l’étiquetage nutritionnel : le PDG de l’Inserm claque la porte, Sciences et Avenir, AFP, juillet 2016.
[3] Actualités du Nutri-Score réalités et (fausses) controverses, Serge Hercberg & al., Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (EREN), 2019.
[4] Incompréhensions et fake-news concernant Nutri-Score. Comment essayer de déstabiliser un outil de santé publique qui dérange ? Nutri-score Blog, avril 2019.
[5] Cabinet Nielsen, octobre 2019, https://www.nielsen.com/fr/fr/.
[6] Deschasaux M & al., Are self-reported unhealthy food choices associated with an increased risk of breast cancer? Prospective cohort study using the British Food Standards Agency nutrient pro ling system. BMJ 2017.
[7] Adriouch S & al., Prospective association between a dietary quality index based on a nutrient pro ling system and cardiovascular disease risk. Eur J Prev Cardiol. oct 2016.
[8] Egnell M & al., Objective and understanding of the Nutri-score front-of-pack label by European consumers and its e ect on food choices: an online experimental study. Int J Behav Nutr Phys Act. nov 2020.
[9] Crosetto P & al., Nutritional and economic impact of five alternative front-of-pack nutritional labels: experimental evidence. Eur Rev Agric Econ. août 2019.
[10] Suivi du Nutri-score par l’Oqali ; analyse à trois ans, Oqali & Anses, rapport 2020.
[11] Il faut que l’Europe adopte « dès que possible » le logo Nutri-score, demandent 270 scientifiques, Le Monde, 16 mars 2021.
> illustration : image à la Une issue de la Charte Nutri-score, Santé publique France.
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