Industrie aéronautique: des émissions et des inégalités

Les chiffres sont là et ils parlent : de 3 à 6% des émissions de gaz à effet de serre selon les méthodes de calculs, sont liées à l’industrie aéronautique. Mais surtout ils mettent en lumière une injustice criante : 1% de la population mondiale est responsable de la moitié de ces émissions et 80% de l’humanité n’a jamais mis les pieds dans un avion. Radiographie des inégalités.

Émissions de GES, la part de l’aéronautique

La part des émissions de gaz à effet de serre liées à l’aéronautique varient généralement entre 3% et 6%. Ces écarts sont principalement dus aux méthodes de calcul (dont gestion des allocations des différents postes d’impacts) et à la qualité de la prise en compte de l’impact de la condensation (les traînées blanches laissées dans le ciel par les avions et qui forment les nuages artificiels qui participent au forçage radiatif).

Illustrations de l’impact des trainées sur le bilan GES [1].

Dans une publication récente, le cabinet Carbone 4 a actualisé pour l’année 2021 l’empreinte carbone moyenne d’un français (voir ci-dessous). La part de l’aéronautique correspond à 420 kg CO2eq, soit 4,2%, un chiffre qui s’inscrit dans la fourchette mondiale. Pour significative qu’elle est, cette part se situe bien loin derrière la voiture (21%), la consommation de viande ou l’utilisation de gaz/fioul (9%) ou encore les émissions liées à l’environnement domestiques (7%).

Empreinte nationale moyenne d’un français (2021), Carbone 4, 2023.

Toutes ces données permettraient de relativiser l’impact climatique de l’aéronautique si nous ne disposions pas des tendances, qui font état d’une évolution à la hausse préoccupante. Airbus, notamment, prévoit un doublement du trafic tous les 15 ans, soit une augmentation annuelle de 4,4%. Il en va de même pour la flotte aérienne dont le nombre va lui aussi plus que doubler, passant de 21 450 appareils en 2018 à 48 990 en 2037 (source : Airbus [6]).

Evolution observée et prévue du développement du trafic aérien, source : Airbus.

Des inégalités criantes

Nous l’avons dit en introduction, les chiffres mettent en avant des inégalités criantes : 1% de la population mondiale est responsable de la moitié de ces émissions. Ces 1% sont ceux qui totalisent plus de 50 000 kilomètres en avion par an, soit l’équivalent d’environ trois vols long-courriers ou 12 vols moyen-courrier [2]. Par ailleurs 80% de l’humanité n’a jamais mis les pieds dans un avion [3] et, en 2018, seulement 11% de la population mondiale a effectué au moins un vol (seuls 4% ont volé vers l’étranger [4]).

L’inégalité est également clairement géographique : les USA représentent à eux seuls 25% des émissions mondiales au niveau aérien et les américains sont 88% à avoir déjà pris l’avion (à comparer aux 20% de la population mondiale) [5].

L’inégalité, enfin, se mesure également de façon probante au niveau du revenu moyen des passagers : 100% de la population à plus haut revenu prend l’avion contre moins de 2% des personnes à plus faible revenu (la classe moyenne la plus aisée ne voyage en avion qu’à hauteur de 25% environ) [2].

Ventilation des fréquences de voyage aérien selon le revenu moyen des passagers.

Le motif des déplacements en avion est également un sujet clivant et qui pose question: 1/4 des passagers volent pour raison professionnelle, 3/4 pour loisir / tourisme [7]. Et pourtant, Bien que ne représentant que 25% des passagers aériens mondiaux, les voyageurs d’affaires contribuent à hauteur de 55 à 75% des profits des compagnies aériennes (via des niveaux de classement supérieurs). 

55% de ces voyageurs professionnels prennent l’avion entre 2 et 5 fois par an et 27% le prennent plus de 6 fois. La vente /  prospection de clients ainsi que les réunions internes entreprises sont les motifs principaux (respectivement 25% et 20%), voir figure ci-dessous. Selon la Chaire Pegase, 38% des voyages d’affaires pourraient être remplacés par la visioconférence dans les prochaines années.

Les voyages d’affaires par type de déplacement [7].

Évolutions, perspectives

Les évolutions et tendances concernant la structure du trafic aérien est également un sujet qui pose question. Les résultats montrent que seuls quelques pays fournissent l’essentiel des « nouveaux voyageurs ». Il s’agit des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), qui réunissent 40% de la population mondiale et 20% de son PIB. En 10 ans (2006-2016), le nombre des passagers chinois et indiens a été multiplié par 3, et par 2 pour les passagers brésiliens et les russes [3].

Les « nouveaux voyageurs », essentiellement issus des BRIC.

L’industrie aéronautique civile est colossale… et elle va encore considérablement grossir dans les années qui viennent. La progression attendue en termes de flotte et de nombres de passagers. On s’attend ainsi à un recrutement massif de pilotes dans les 20 ans qui viennent : environ 620 000 d’ici 2035, en Asie-Pacifique majoritairement, et qui viendront s’ajouter aux 290 000 existants. Un nombre encore supérieur de navigants (stewards, hôtesses) et de techniciens seront recrutés dans le même temps.

Prévisions de recrutements dans les 20 ans dans le secteur aérien.

Mais les acteurs industriels de l’aérien s’organisent. Les bilans de la situation et prospectives ont été réalisées de façon soigneuse et incontestable. Des plans et des objectifs ont été définis, dont le projet de « croissance neutre en carbone à partir de 2020 ». Pour y parvenir, différents leviers seront actionnés, mais le plus prometteur est celui des carburants durables. Pour Sean Newsum, directeur de la stratégie environnementale chez Boeing, qui entend faire voler 100% de sa flotte au biocarburants dès 2030. Selon lui, le potentiel de ces derniers est énorme et pourrait être l’outil majeur pour obtenir cette croissance neutre en carbone [6].

Sources

  1. The contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018, D.S.S Lee, 2021.
  2. The global scale, distribution and growth of aviation: Implications for climate change, S. Gossling, 2020.
  3. As Billions More Fly, Here’s How Aviation Could Evolve, E. Rosen, National Geographic, 2017
  4. 1% of people cause half of global aviation emissions, The Guardian, 2020.
  5. Elite status, global inequalities in flying, Wearepossible, 2021.
  6. Traffic aérien Mondiale, une croissance fulgurante pas prête de s’arrêter, The Conversation, 2019.
  7. Voyages d’affaires et visioconférence : Quel avenir pour le transport aérien ? Chaire Pegase, Montpellier business school, 2021.

 

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