Pollution plastique en mer, l’heure des remises en question
Ces dernières années ont été marquées par la volonté de lutte contre la pollution marine, au premier rang de laquelle, le plastique. Les travaux ont logiquement été orientés sur la recherche de la compréhension des sources de pollution.
Mais, malgré le nombre d’acteurs engagés et les moyens déployés, l’incertitude domine toujours. Dans un contexte scientifique d’études contradictoires et d’acteurs en désaccord, un bilan s’avère nécessaire pour mieux comprendre les changements de position qui s’opèrent.
La quantité de plastique en mer questionnée
Le problème de la quantité de plastique en mer est en fait lié à un autre : on n’a toujours pas retrouvé l’essentiel du plastique maritime (on sait depuis bien longtemps que le tonnage du plastique observé est très inférieur à celui qui y est entré) : on parle de 1% du plastique retrouvé.
Les hypothèses pour expliquer ce phénomène — et qui permettrait par là-même de mieux évaluer le plastique en mer — évoluent depuis des années, c’est normal, mais la logique voudrait que le faisceau des possibles se resserre, alors que l’on observe plutôt l’inverse :
- L’hypothèse la plus ancienne est que le plastique coule dans les fosses profondes où il devient indétectable. De nombreux spécimens de plastique ont été retrouvés dans des écosystèmes vivant dans des fosses profondes, ce qui alimente cette option, voir par exemple [1].
- Certaines expérimentations ont tenté d’expliquer le plastique manquant par une dégradation bactérienne… mais on sait désormais que cette dernière ne peut expliquer que 1% de la disparition globale, voir l’étude publiée dans Marine Pollution Bulletin, 2023 [2].
- Plusieurs investigations récentes suggèrent des options davantage à l’échelle : le plastique… retournerait à terre. Jusqu’à 90% des débris plastiques marins pourraient ainsi s’échouer rapidement dans la zone littorale, jusqu’à 8 km dans les terres, voir cette étude australienne [3].
- La dernière piste à considérer est la plus récente : on surestimerait le plastique entrant dans l’océan qui serait environ 15 fois moins important que ce que l’on estime, voir les données issues du partenariat Université d’Utrecht / The Ocean Cleanup [4].
L’option 1 est délicate à évaluer et l’option 2 a été disqualifiée pour des raisons solides (pas à l’échelle). L’option 3 est prise très au sérieux notamment en raison de la qualité des observations menées et de la robustesse de l’équipe en charge. Elle est désormais challengée par l’option 4, tenue par la filière néerlandaise — The Ocean Cleanup / Université d’Utrecht — qui suggère, via modélisations et observations, que l’on se trompe depuis le début sur la quantité et la nature du plastique entrant en mer…
Ces différentes hypothèses représentent finalement une fourchette de déchets entrant annuellement en mer très large : de 0,5 millions de tonnes par an (option 4, la plus récente et tenue par The Ocean Cleanup) à plus de 8 millions (autres options plus anciennes, faisant jusqu’ici office de consensus). Il est toujours difficile de trancher pour l’heure, et des études complémentaires sont en cours, notamment via le Groupe 43 du Gesamp, voir en conclusion.
L’étude australienne suggère que le plastique… retournerait à terre. Jusqu’à 90% des débris plastiques marins pourraient ainsi s’échouer rapidement dans la zone littorale, jusqu’à 8 km dans les terres [3].
La nature du plastique en mer challengée
C’est la filière néerlandaise, ici encore, qui jette le trouble. De nouvelles études de l’Université d’Utrecht rebattent les cartes de la nature de la pollution plastique en mer : celle-ci serait ultra-majoritairement composée de gros morceaux (à 95% – en masse – voir par exemple les études [4-6]), ce qui est plusieurs fois supérieur aux données qui faisaient consensus à ce jour, voir graphe ci-dessous.
Répartition des déchets plastiques en mer, par taille notamment (à droite) : la pollution serait composée ultra-majoritairement de gros morceaux (95%) [4].
L’autre information clé, et finalement en lien avec l’information précédente, concerne la provenance de ces déchets : ils pourraient majoritairement issus de l’industrie de la pêche, une source jusqu’ici considérée comme secondaire. Les observations effectuées lors des collectes de déchets dans les gyres océaniques par The Ocean Cleanup permettent de proposer les éléments suivants :
- 40% en masse des déchets récupérés dans les gyres océaniques proviennent de l’industrie de la pêche ou de l’aquaculture.
- Entre 75% et 86% des morceaux plastiques de plus de 5cm proviennent de dispositifs de pêche abandonnés.
Nature de la pollution plastique océanique dans les gyres et répartition par type de sources, données issues de [5], The Ocean Cleanup, in Our Word in Data.
Ce questionnement de la nature des déchets en mer — dans les gyres — remet en cause le consensus établi jusqu’ici et qui fixait à moins de 20% la part de l’industrie de la pêche et de l’aquaculture, faisant de ces dernières une source marginale. Ces données doivent encore être confirmées, mais l’analyse désormais possible des déchets océaniques prélevés au coeur des gyres via les bateaux de The Ocean Cleanup rebat les cartes.
En conclusion
Les allégations classiques selon lesquelles 80% des déchets marins proviennent de sources terrestres, sont aujourd’hui largement discutées (voire contestées) et méritent dans tous les cas d’être mieux analysés. Si cette répartition est juste, elle ne l’est peut-être que pour la zone côtière, dans laquelle la granularité de la pollution est très différente de celle observée dans les gyres océaniques.
Par ailleurs, compte tenu des données nouvelles recueillies, il est surement temps de mieux investiguer la source de pollution que revêt l’industrie de la pêche (en particulier les dispositifs de pêche abandonnés, perdus ou rejetés) et l’aquaculture. Ces sources sont très vraisemblablement signalées, dans les analyses actuelles à des niveaux d’impacts minorés.
Tous ces éléments permettent finalement de n’être sûr que de quelques points:
- Concernant la quantité de plastique en mer, étant donné les différences d’estimations existantes, des travaux complémentaires sont nécessaires avant de pouvoir tirer quelque conclusion que ce soit.
- Concernant la nature de la pollution et les sources de cette dernière : il existe des disparités importantes en fonction des zones considérées : bande côtière et haute mer notamment. Il en va de même en fonction des caractéristiques socio-démographiques des pays et Régions concernées. La pollution plastique en mer est donc hétérogène et sa granularité est fine. L’accumulation de données et de conclusions spécifiques permettra, seule, d’obtenir une base de données fiable.
Une fois que ces éléments ont été dits, il convient de faire remarquer que l’essentiel de ces conclusions: 1) MOINS DE PLASTIQUE & 2) PLUS DE GROS MORCEAUX encouragent les actions de collecte menées par The Ocean Cleanup, à la source de ces données nouvelles. Il ne faut donc ni refuser a priori ces éléments ni être naïf. Et il est urgent de prendre le temps de la vérification.
Le Groupe 43 du GESAMP (The Joint Group of Experts on the Scientific Aspects of Marine Environmental Protection) est spécialisé dans la compréhension des sources de pollution marine (voir le dernier rapport [7]). Ses conclusions ont pour but d’éclairer les décideurs de l’ONU. Son prochain rapport sur le sujet est attendu incessamment sous peu ; il devrait permettre d’avancer encore sur ces sujets.
A suivre.
Les déchets collectés en mer et les données associées fournies par The Ocean Cleanup ont permis d’observer de grandes quantités de déchets et de mieux des dénombrer. Ces éléments ont remis en question les consensus existants, Site Web The Ocean Cleanup.
Sources, réseaux sociaux
- Microplastics and synthetic particles ingested by deep-sea amphipods in six of the deepest marine ecosystems on Earth; A. J. Jamieson; The Royal Society, 2019 https://doi.org/10.1098/rsos.180667
- A stable isotope assay with 13C-labeled polyethylene to investigate plastic mineralization mediated by Rhodococcus ruber; Maaike Goudriaan, Marine Pollution Bulletin, 2023.
- Coastal margins and backshores represent a major sink for marine debris: insights from a continental-scale analysis; Arianna Olivelli; Environmental Research Letters, Volume 15, Number 7, 2020.
- Global mass of buoyant marine plastics dominated by large long-lived debris; Mikael L. A. Kaandorp; Nature Geoscience, 2023.
- Industrialised fishing nations largely contribute to floating plastic pollution in the North Pacific subtropical gyre. Scientific Reports, 2021.
- Evidence that the Great Pacific Garbage Patch is rapidly accumulating plastic. Scientific reports, 8(1), 1-15, 2018
- SEA-BASED SOURCES OF MARINE LITTER, GESAMP WORKING GROUP 43, 2021.
• Retrouvez nos articles sur le sujet sur Linkedin.
• image à la une : Gesamp, issu de [7].
• Suivez notre page Natural development
NOS PUBLICATIONS
Les plus lus
- Citeo – Contribution emballages : tarifs 2024 et nouveautés
- PLA & PHA : les *STARS* incontestées des Bioplastiques
- Citeo – Contribution emballages : tarifs 2023 et nouveautés
- La contribution emballage, Citéo, Léko : les enjeux
- Outil Bilan Produit© de l’Ademe : pour quoi faire?
- PHA et packaging : le grand espoir des bioplastiques
- Nutriscore : des années de polémiques, mais quelle efficacité ?
- Recyclage enzymatique et chimique du PET : Carbios et les autres
A la une
Catégories
- Actus environnement (54)
- Alimentation & Packaging (37)
- Matériaux & Procédés (24)
- RÉALISATIONS ND (17)
- Transport, Fret & Mobilités (7)