Posidonie : un allié décarbonation en danger

Puit de carbone, nurseries à poissons, usines à sédiments, digues végétales atténuant la houle et l’érosion… on n’en finit pas de lister le rôle écologique de l’herbier. Pourtant, on estime que 34% de la Posidonie de Méditerranée a d’ores et déjà disparu. Radiographie d’un allié décarbonation & biodiversité en danger.

Herbier de Posidonie : un puit carbone particulièrement efficace

L’herbier de Posidonie (Posidonia oceanica) est un puit de carbone majeur. Constitué en vastes herbiers que l’on retrouve jusqu’à une quarantaine de mètres de profondeur, la Posidonie s’est véritablement structurée en sol de plusieurs mètres d’épaisseurs, que l’on nomme « matte ». C’est cette caractéristique, notamment,  qui la rend encore plus efficaces dans la capture du CO2 que la forêt amazonienne par exemple.

Matte de Posidonie, pouvant atteindre plusieurs mètres d’épaisseur. On admet que les couches profondes séquestrent le carbone tandis que l’herbier de surface le fixe [2].

De nombreuses études ont tenté de quantifier le stockage du carbone dans les herbiers, avec une cible d’expérimentation privilégiée : la Corse [1-4], et les résultats sont convergents. Selon les résultats d’une étude universitaire française, l’herbier de Posidonie peut fixer environ 700 tonnes de carbone par hectare et par an. Ces éléments, ramenés au pourtour du bassin méditerranéen correspondent à presque 4 millions de tonnes de carbone par an, dont 800 000 tonnes sont considérées comme séquestrées (en couche profondes dans la matte), voir graphe ci-dessous.

Estimation du carbone total fixé et séquestré dans les différents pays européens [1].

>> Voir aussi : Pollution des océans par le plastique et les emballages

L’ennemie n° 1 de l’herbier de Posidonie : le mouillage de plaisance

Le raguage des herbiers par les ancres est tout simplement le problème numéro 1. Pour cette raison, depuis 2019 le mouillage des navires de plus de 24m (grande plaisance) est interdit dans les herbiers. C’est déjà ça. Mais la plaisance de tourisme légère (moins de 24m) représente toujours un risque majeur pour la Posidonie.

Contenu et évolution de la réglementation française dans le temps [5].

Depuis 2019, l’application de la réglementation et les contrôles en mer qui ont suivi et qui ont donné lieu aux premières condamnations pour destruction ont réduit de plus de 75% la pression générale du mouillage et de plus de 95% celles liées aux « grands navires » [5].

Concernant la plaisance légère, il convient d’agir de façon ciblée, en analysant la pression exercée par les ancres sur l’herbiers. Et les mesures qui sont prises doivent être proportionnées en fonction des risques et donc différentes en fonction des lieux considérés.

Les bénéfices de la législation ont été mesurés via une autre étude française regroupant différents instituts spécialisés, et les résultats sont positifs (voir graphes récapitulatifs ci-dessous).

  • 2 fois moins de mouillages sur posidonie pour les navires de plus de 80m depuis 2016 (année de la réglementation)
  • 3,5 fois moins de mouillages sur posidonie pour les navires de plus de 24m depuis 2020 (année de la réglementation)
  • Augmentation constante des mouillages sur posidonie pour les navires de moins de 24m depuis 2019 (pas de réglementation)

Amélioration des comportements de mouillages dans le temps et en fonction du type de biotope considéré : a : bateaux de grande taille (>80m) ; b : de taille moyenne (>24m) et c) de petite taille (>24m) [5].

>> Voir aussi : Océans : autant de vie que de plastique dans les gyres

Des app au service des plaisanciers : l’exemple de Donia

Une appli communautaire

L’application communautaire DONIA, notamment, a été créé pour cela ; elle permet via la création d’un simple compte d’accéder aux données biotopes détaillées et d’éviter ainsi le mouillages sur l’herbier (et autre sites sensibles).

Elle permet ainsi aux plaisanciers, plongeurs, pêcheurs d’échanger des informations tout en contribuant à protéger les écosystèmes marins sensibles. Elle permet également d’éditer les décrets réglementaires afin de les comprendre et de les respecter. Elle offre un rendu cartographique enrichi en intégrant la nature des fonds, la bathymétrie, la réglementation en mer, les images satellites, des points d’intérêt, et de nombreux sites particuliers (sites de plongée, ports, mouillages, photographies sous-marines, observations des utilisateurs de l’application).

Visuel de l’application communautaire et gratuite Donia, disponible sur app store Android et Apple.

>> Voir aussi Plastique > emballages > #moisdelocéan : une marée de données

Test en situation réelle

Nous avons utilisé l’application afin d’évaluer le respect de l’herbier de la part des plaisanciers au mouillage. La carte ci-dessous, réalisée à l’été 2023, analyse l’état de la plaisance sur la presqu’île de Giens & l’île de Porquerolles (mouillages positionnés en fonction de la stabilité de la position à 15mn d’écart et aussi, évidemment, en fonction de leur position par rapport à la côte / profondeur).

Cette analyse simple permet de faire ressortir les points clés suivants :

  • Une 40aine de bateaux (points roses) sont détectés dont une 30aine au mouillage.
  • Ce sont essentiellement des bateaux de moins de 24m.
  • Environ 50% des mouillages (15 ancres) sont réalisés sur des aires recensées biotopes ou herbier de Posidonie.

On déduit simplement de ces chiffres que la réglementation fonctionne, d’une part, mais aussi que la pression sur la Posidonie des bateaux de moins de 24m doit être surveillée, car dans cette catégorie, les comportements de mouillage restent imparfaits. Ces éléments confirment les données connues : les bateaux de moins de 24m, correspondant à 95% du parc, restent l’ennemi n° 1 de l’herbier, même si d’autres menaces existent [6].

Analyse du mouillage sur la presqu’île de Giens & l’île de Porquerolles, à l’été 2023, via l’application Donia (les points roses correspondent aux navires signalés sur l’application).

>> Voir aussi Déchets marins : radiographie des plages de vos vacances…

En conclusion

Puit de carbone, nurseries à poissons, usines à sédiments, digues végétales atténuant la houle et l’érosion… on n’en finit pas de lister le rôle écologique de l’herbier.

De nombreuses observations ont montré que chaque mouillage (d’un bateau de moins de 24m) peut détruire plusieurs centaines de pousses de Posidonie. Etant donné que celles-ci croissent à un rythme très lent : pas plus de quelques centimètres par an, ces dégâts sont considérables ; on estime qu’il faut 5 ans de conditions optimales pour les régénérer.

Des mesures réglementaires ont été prises, nous l’avons vu. En octobre 2023, le capitaine hongrois d’un yacht de 26m a été condamné à 20000€ euros d’amende, ainsi qu’à l’interdiction de naviguer pendant un an dans les eaux territoriales françaises, pour avoir détruit, lors de trois mouillages différents, des herbiers de posidonie sur la Côte d’Azur. C’est une première.

Les résultats sont donc au rendez-vous, même si l’observation montre que la dégradation par les navires de petite taille existe toujours. Pour faible quelle est, cette pression environnementale doit être adressée.

Un combat majeur, à suivre continûment.

>> Voir aussi : Le 6ème Rapport du GIEC en points clés

Sources, réseaux sociaux

  1. Contribution of Posidonia oceanica meadows in the context of climate change mitigation in the Mediterranean Sea, C Pergent-Martini & al., Coastal Ecosystems Team, University of Corsica, Corte, France ; Aix-Marseille / Toulon University, MIO (Mediterranean Institute of Oceanography), CNRS, IRD, France ; Marine Environmental Research, 2021.
  2. Seagrass ecosystems as a globally significant carbon stock, Nature Geoscience, Vol 5, July 2012.
  3. A multi-approach inventory of the blue carbon stocks of Posidonia oceanica seagrass meadows, Large scale application in Calvi Bay (Corsica, NW Mediterranean), Marine Environmental Research, 2023.
  4. Quantification of blue carbon stocks associated with Posidonia oceanica seagrass meadows in Corsica (NW Mediterranean), Science of The Total Environment, Volume 838, Part 1, 10 September 2022.
  5. Anchoring pressure and the effectiveness of new management measures quantified using AIS data and a mobile application, P. Boissery & al., Université Montpellier, France ; Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée, Corse, France ; Institut Bouisson Bertrand, Montpellier, France, Marine Pollution Bulletin, 2023.
  6. La Posidonie, poumon de la Méditerranée, a déjà perdu 34% de sa surface, WWF, 2023.

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• image à la une : image en commun licence, Pixabay.

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