Compensation carbone: je plante donc je fuis
Alors que les constats concernant le réchauffement climatique sont alarmants, les différents acteurs évaluent les options possibles pour contrer ou s’adapter à l’évolution en cours. Dans ce cadre les entreprises qui recourent à la compensation carbone (via des crédits liés à la plantation d’arbres en forêt amazonienne, le plus souvent) sont de plus en plus nombreuses.
Utiliser la compensation carbone pour gommer un reste à charge après avoir optimisé au maximum ses procédés est une chose. S’en servir en amont pour effacer l’essentiel de ses émissions en est une autre.
Malheureusement, cette dernière pratique est clairement majoritaire, comme le confirment les études les plus récentes, ce qui prouve que pour l’heure les entreprises préfèrent planter plutôt que challenger leurs procédés.
Des allégations de neutralité carbone usurpées
Sur les 25 compagnies testées dans le Rapport du New Climate Institute (février 2022), seules 3 (12%) obtiennent des résultats compatibles avec leurs allégations (Maersk, Deutsche telecom. Vodafone). Les autres… sont listées dans le graphe ci-dessous.
Ces 25 compagnies sont toutes de grandes multinationales. Selon New Climate, leur empreinte totale d’émissions de GES autodéclarées en 2019 s’élève à environ 2,7 GtCO2e, soit environ 5 % des émissions mondiales de GES.
5 d’entre elles font état d’un engagement de moins de 15 % de réduction, souvent en excluant certaines émissions amont ou aval. 13 autres entreprises s’engagent sur une démarche « net zéro » mais n’atteignent que -40 % en moyenne. Les 12 autres entreprises n’accompagnent leurs promesses principales d’aucun engagement spécifique.
Collectivement, les 25 entreprises s’engagent à réduire de moins de 20 % seulement leurs émissions.
Verra, des crédits « fantômes » ?
Une enquête dirigée par The Guardian (janvier 2023), et basée sur trois publications scientifiques spécialisées (voir sources), laisse à penser que les crédits Verra REDD+ (norme de compensation n°1) sont à plus de 90% des « crédits fantômes » qui ne représentent pas de réduction carbone (voir graphe).
D’où vient cette assertion ? Les études sources montrent que les scénarios de référence ont exagéré la menace de déforestation sur les zones considérées, ce qui a surpondéré l’effet bénéfique des projets. L’une des trois études estime cette surestimation à +400%, voire à +950% si l’on se concentre sur les projets les plus réalistes.
Des projets sans impact ni gain climatique
De son côté, Carbone 4 a analysé certains points de l’enquête précédente (janvier 2023) et pointe que sur 29 projets menés, seuls 8 ont un impact mesurable sur le climat.
Sur les 29 projets Verra REDD+ analysés, 21 n’auraient eu en réalité aucun effet positif sur le climat. 7 autres, bien qu’à impact non nul, auraient été largement surestimés (voir graphe).
Selon Carbone 4 : « Malgré l’incertitude de cette mesure, les trois papiers de recherche (voir sources) sur lesquels se base l’enquête du Guardian montrent de manière indépendante que Verra semble avoir systématiquement surestimé l’efficacité des projets analysés. De l’avis de nombreux experts, tant ceux impliqués sur les trois publications que d’autres spécialistes interrogés pour l’occasion, les études ne présentent par ailleurs aucune erreur manifeste, et confirment les critiques faites à l’encontre du marché du carbone volontaire depuis une vingtaine d’années ».
Signalons que Verra a produit une réponse aux affirmations de cette étude.
La réglementation pour combattre la fausse allégation
Parcelles (certifiées) non plantées, surpondération du potentiel puit de carbone, corruption des exploitants de forêts ou des officiels locaux, impondérables forestiers naturels… tout y passe et contribue à l’inefficacité, voir par exemple l’interprétation du Monde.
On peut comprendre que des PME, et même certains grands groupes, n’aient pas la capacité ou la volonté d’initier leur décarbonation, mais laisser croire le contraire à des fins commerciales est inacceptable.
Heureusement, depuis le 1er janvier dernier, la France impose aux entreprises qui revendiquent la neutralité carbone de leurs services ou produits, d’en faire la démonstration à l’aide d’un bilan des émissions de gaz à effet de serre couvrant l’ensemble du cycle de vie des produits ou services concernés, voir le décret n° 2022-539 du 13 avril 2022.
Cette réglementation était indispensable ; les fausses allégations environnementales décrédibilisent toute opération sincère, endiguent l’action et parasitent toute évolution positive. Ne pas prendre le train en marche est un choix, de là à saboter la voie…
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Autres sources
- Overstated carbon emission reductions from voluntary REDD+ projects in the Brazilian Amazon, Thales A. P. West @al., Stanford University, Stanford, CA, September 2020, https://doi.org/10.1073/pnas.2004334117
- Action needed to make carbon offsets from tropical forest conservation work for climate change mitigation, Thales A. P. West @al., Stanford University, Stanford, CA, January 2023, https://doi.org/10.48550/arXiv.2301.03354
- A global evaluation of the effectiveness of voluntary REDD+ projects at reducing deforestation and degradation in the moist tropics, Alejandro Guizar-Coutiño, Conserv Biol, December 2022, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35713105/
- Images à la Une : Shutterstock, sous licence.
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